Relance pharmaceutique La filière française du cannabis espère pouvoir décoller
Les parlementaires ont interrogé les acteurs français d’une éventuelle filière de cannabis thérapeutique qui demandent la levée de l’interdiction de récolte des fleurs, obstacle principal au démarrage de la filière.
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Les acteurs français de l’éventuelle filière du cannabis thérapeutique sont pressés de voir disparaître les restrictions à la récolte des fleurs du chanvre. Pour eux, c’est la condition à mettre en œuvre le plus rapidement pour éviter que la France ne soit le territoire des acteurs étrangers de cette filière. La mission parlementaire sur la réglementation du cannabis a organisé une table-ronde avec les acteurs français du cannabis thérapeutique le mercredi 17 juin 2020 en visioconférence.
Une expérimentation contrariée
La loi de financement de la Sécurité sociale 2020 a admis que la France pouvait lancer une expérimentation de deux ans sur le cannabis médical. Lors des premières auditions de la mission parlementaire, la directrice de l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) avait fixé un horizon à septembre 2020 pour le début effectif de cette expérimentation. Le confinement a retardé les travaux de la mission, mais les producteurs pointent un obstacle réglementaire encore plus bloquant : en France, il est interdit de récolter les fleurs de chanvre parce qu’elles risquent de dépasser le maximum légal de 0,2 % de THC sur extrait sec (tétrahydrocannabinol, un des principes actifs de la plante). Cette limite ne distingue pas le chanvre industriel du chanvre indien, utilisé, quant à lui, pour des usages récréatifs.
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Un développement à l’étranger
Un agriculteur témoigne que cette règle lui a fait perdre un marché. Jean-Raymond Vanier est producteur et négociant de plantes aromatiques et médicinales dans le sud de l’Eure-et-Loir depuis 1989. Il emploie 55 collaborateurs et travaille avec une soixantaine d’agriculteurs voisins. Il y a six ans, un de ses clients suisse le sollicite pour produire du CBD (un autre principe actif de la plante utilisé, généralement en huile, dans un cadre médical).
Après quelques essais, il décline le marché parce qu’il ne veut pas entrer dans l’illégalité. Puis, il s’est ému de s’apercevoir que son client se fournit désormais en Croatie avec des variétés françaises, dont la Futura75. « Nous demandons au moins de pouvoir faire des essais pour être en capacité de répondre aux demandes de nos clients », argue Jean-Raymond Vannier.
À l’autre bout de la France, Olivier Maubert le rejoint dans cette demande. Le groupe familial qu’il dirige, Robertet, à Grasse (Alpes-Maritimes), est spécialisé dans l’extraction de produits naturels pour la pharmacie. Il a déjà des collaborations, par le biais de joint-venture, avec deux entreprises consacrées au CDB, Klersun en Oregon (États-Unis) ou Alponics en Suisse. « Nous développons une expertise par ce biais parce que, aujourd’hui en France, si on ne peut pas récolter la sommité fleurie, ce n’est pas viable économiquement », explique Olivier Maubert.
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Le temps de bâtir une filière
Pour autant, Emmanuelle Fontaine-Domeizel, député des Alpes-de-Haute-Provence et rapporteure thématique, s’interroge. Si la récolte des fleurs était rapidement autorisée, la filière serait-elle en mesure de fonctionner avant la fin de l’expérimentation de deux ans accordée par les parlementaires ? Pas si évident aux yeux des acteurs économiques. Dans un premier temps, il faudrait déjà compter le temps de la production agricole même s’il était possible de s’appuyer sur la production actuelle de chanvre moyennant une identification particulière auprès des autorités de contrôle. Mais ensuite, les industriels de l’extraction demandent une stabilité de la production et une méthodologie des process pharmaceutiques.
En serres ou en champ
Pour Frantz Deschamps, directeur de Stanipharm, une entreprise de recherche et de développement pour la pharmacie, il vaut mieux raisonner la filière en partant d’une production de fleurs standardisées en serres et pas en plein champ. En revanche, Henry Hennion milite pour une filière mixte : aux deux tiers en champ et au tiers en serre. Il met sur la table la technologie qu’il développe avec Elican Trichome Biotech : elle permet de discriminer sur la fleur les lieux où se concentre le CBD (médicamenteux) et ceux où se concentre le THX (récréatif). « Cette technique rendrait performante pour la pharmacie la filière actuelle du chanvre si on acceptait la montée à fleur. On en maîtrise déjà bien les coûts et la France tirerait profit de son leadership industriel pour le transposer facilement vers la pharmacie », argumente en substance Henry Hennion.
Assurer la sécurité
Ensuite, se pose la question de la sécurité des filières vis-à-vis de la réglementation sur les stupéfiants. Bruno Gaudin, le directeur de l’Institut technique des plantes aromatiques (Iteipmai), met en avant la bonne réussite de la filière française du pavot en plein champ. Toutefois, Frantz Deschamps ne pense pas qu’elle soit transposable au cannabis parce que le pavot ne présente aucun risque de vol puisqu’on ne peut rien en faire sans une transformation.
Enfin, Emmanuelle Fontaine-Domeizel rebondit avec une question fondamentale : « Et si nous n’arrivions pas à produire en France, pourrions-nous construire une filière française malgré tout ? » Agriculteur lui-même, Jean-Raymond Vannier pense que la levée des contraintes réglementaires pourrait libérer la production et qu’il serait dommage de se priver de cette chance. Pour Frantz Deschamps, il faut écarter l’idée de ne pas produire en France : « On peut importer dès demain des graines stabilisées, d’Israël par exemple, et les cultiver pour la filière française. En revanche, importer seulement des fleurs ne garantirait pas la stabilité des approvisionnements. »
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Pour compléter son approche de la filière du cannabis thérapeutique, la mission d’information prévoit d’auditionner le 24 juin 2020 les opérateurs étrangers.
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